clichés exotiques - photography painting
Ici et là dans cette outre noire,
Une présence flagrante ici et là.
Une mémoire passée dans ces photos fondues ou éveillées,
Comme une résilience qui se veut restée en mémoire.
Regarde les visages de ces êtres du passé,
Du passé bouleversant dont les gens dans l’ignorance détournent leur regard.
Ces visages sont dans le sentiment d’être toujours présents,
Présents d’individu où je ne vois pas les décors sublimes, mais les visages.
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clichés exotiques - black on black

Scan / Intérieur du studio de Stathell & Kleingrothe à Medan (Sumatra), Stafhell et Kleingrothe vers 1898, Tropenmuseum, inv.60001724.
Provenant de l'ouvrage Clichés exotiques, Le tour du monde en photographie 1860-1890 de Lionel Gauthier et Jean-François Staszak. Editions de Monza
De la peinture à la photographie.
Et de la photographie à la peinture.
De nos jours, l’exotisme renvoie au stéréotype, au cliché, celui du « palmier » ou du « cocotier ». Il est associé à une imagerie de l’ordre de l’artifice, du divertissement, et paradoxalement de la sensualité et du plaisir. Encore aujourd’hui l’exotisme est attaché à l’ornement, à la décoration et projette une splendeur à notre regard par exemple quand un visiteur contemple le célèbre site Khmer d’Angkor qui possède une richesse historique ainsi qu’une architecture somptueuse à l’époque de l’Empire Khmer. Pour le regard occidental qui se pose sur les cultures des « autres », l’exotisme suggère un état d’âme particulier, une invitation au voyage, au dépaysement, jusqu’à l’euphorie.
À la suite de l’étude et de l’histoire de l’exotisme, la photographie exotique, nommé également cliché exotique est un domaine à explorer. L’invention de la photographie permet d’être dans une représentation et une diffusion plus rapide, a priori plus réelle. L’ouvrage de Roland Barthes dans La chambre claire. Note sur la photographie montre bien qu’une photographie est l’essence d’une chose qui a été là, l’auteur note du « Çà a été » . Après le moment où notre doigt appuie sur le bouton de l’appareil photo déclenchant le « clic » et enregistrant l’image prise sur la pellicule, l’image photographiée appartient immédiatement au passé.
À la découverte de ces photographies dans la bibliothèque des Arts de Strasbourg, je souhaitais réaliser une production plastique avec les reproductions des clichés photographiques, en m’intéressant au plus près aux individus représentés. En regardant attentivement les détails, je détourne mon attention des éléments frictionnels de l’image des décors riches et luxuriants. Ce sont les regards de ces individus qui me touchent, je vois dans leurs yeux un je-ne-sais-quoi de terne et de neutre. Lorsque j’observe une photographie exotique, on peut avoir cette impression d’une nouvelle découverte et d’une lecture de la vie de ces individus qui sont représentés sur la photographie. Ces images photographiques représentées par l’écriture de la lumière permettent de révéler l’existence culturelle d’une civilisation, l’état d’une architecture, de même sauvegarder la spécificité d’une tradition, d’une garde-robe, l’intensité d’un évènement passé, d’immortaliser un contexte et mettre en avant l’importance de la présence des individus. Nous avons en face de ces clichés exotiques, une remémoration et une représentation d’une époque et d’un décor du quotidien qui nous peut sembler agréable à l’œil.
Ce qui m’a réellement poussée à travailler avec ces photos appartenant au passé est le fait qu’elles aient été oubliées avec les décennies puis stockées les archives, si bien que je n’ai pas eu encore la chance de découvrir des photographies originales. Jusque-là je ne les avais trouvées que dans des ouvrages à l’exemple de Sexe, race et colonies, qui assemble et révèle un corpus important d’illustrations, de photographiques et de peintures qui retrace des histoires complexes de l’esclavage, la colonisation, stéréotype raciste , sexuelle, créant des enjeux post-coloniaux sur les questions de l’identité dans le métissage. Pour ma production de recherche-création, j’avais envie de les révéler au grand public pour qu’il ne puisse pas passer à côté de ses visages oubliés. C’est comme proposer une nouvelle lecture d’une histoire et ne plus observer l’ornement dans la photo, mais les individus en couleur.
Un voyage imaginaire.
J’ai commencé la série Clichés exotiques en 2017. Les images dites exotiques que je me suis appropriée pour ce travail proviennent des livres : ÉTRANGES ÉTRANGERS photographie et exotisme, 1850-1910 et Orientalisme proposant de différentes photographies de cultures exotiques de l’époque. En découvrant ces photographies, j’étais dans le questionnement : « par quel moyen plastique vais-je travailler ces photographies exotiques puis comment attirer et captiver mon spectateur ? » Mais contrairement à la première œuvre présentée Clichés exotiques - noir sur noir, nous ne sommes plus dans une dimension de défunt, mais une nouvelle lecture où nous voyons en couleur les photographies les personnages et les paysages grâce à la peinture.
Pour réaliser cette série, je photocopie à l’aide de feuilles transparentes. L’avantage avec le transparent est qu’on peut travailler avec l’endroit et l’envers de la feuille, ainsi la brillance du papier peut ajouter un avantage esthétique dans la présentation. Et puis le second point est que ce genre de matériaux peut nous offrir diverses possibilités et solutions dans la présentation en jouant justement avec cette transparence et brillance, donnant ainsi une large palette de lectures visuelles qui offre à mon spectateur son « sens de la lecture » et cela m’enthousiasme.
La peinture a une grande place dans mon travail, et je suis toujours à la recherche de nouvelles techniques picturales. La peinture est un domaine où je me sens très à l’aise, et plus particulièrement lorsqu’il s’agit de mélanger de nombreux pigments de couleurs à l’instinct, lorsque j’« écrase » au hasard les couleurs au couteau, il s'opère une sorte de magie lorsque les pigments fusionnent entre eux.
L’archive dans l’art.
En un sens énigmatique [...] la question de l’archive n’est pas [...] une question du passé. [...] C’est une question d’avenir, la question de l’avenir même, la question d’une réponse, d’une promesse et d’une responsabilité pour demain. Jacques DERRIDA, Mal d’archive1
Ce goût pour l’archive photographique, qu’elle soit historique ou personnelle, m’a longuement captivé dans ma démarche artistique. J’étais, et je le suis toujours, à la recherche d’une présentation plastique mettant en avant les photographies glanées et récupérées que je souhaitais travailler.
La notion de l‘archive a créé une place considérable dans le champ de l’expression de la création artistique qui est comme des écritures de témoignage, quel que soit le médium (photographie, film, écrit). Il n’y a pas de date spécifique du début de l’utilisation de l’archive dans l’art contemporain. Travailler l’archive c’est faire connaître la sauvegarde d'une trace.
L’ouvrage de Julie Maeck et Matthias Steinle L’image d'archives2 met en lumière que l’archive a une fonction utile et significative pour l’historien. Certaines personnes peuvent le considérer comme de simples images que des documents recouvre d’indices. Une chose est sûre c’est que l’image en elle-même possède une faculté d’ouvrir des divers champs comme la création, figuration, illustration, et archive. Les images d'archives sont en premier lieu des indices et des moyens de connaissances car une image reflète une réalité et une société dans sa représentation du monde.
Pour un grand nombre d’historiens, les images du passé fournissent une mission : l’identification et le contexte de ce qui a été représenté. « Les principes sous- jacents » qui dans l’image « révèlent » la manière dont nous habitons le monde, sont « particularisés inconsciemment par la personnalité propre à l’artiste qui les assume - et condensés en une œuvre d’art unique3. »
Ces images d’archive ont pris une grande importance dans notre culture visuelle. Ce goût de l’archive, cet intérêt et cette attirance de toucher cette trace brut4 et le pouvoir de toucher l’émotion, où les images d’archives ne naissent pas mais le deviennent5, prennent de l’ampleur dans les années 1980.
La question de la mémoire dans la photographie ne se pose pas uniquement pour le côté historique mais pour sa capacité à partager une culture visuelle et à développer une fonction sociale. La notion d’œuvre d’art renvoie en général à l’esthétique, ainsi qu’à une image individuelle et singulière, c’est-à-dire que l’œuvre d’art est considéré comme un objet « unique ». Alors l’image archive suppose une série d’images dans un contexte précis, une collection minutieuse et précieuse dans la conservation parlant d’une histoire antérieure.
« L’archive, c’est d’abord la loi de ce qui peut être dit, le système qui réagit l’apparition des énoncés comme l’événement singulier » dit Michel Foucault dans L’Archéologie du savoir6. Dans le domaine de l’Art contemporain, l’artiste- chercheur qui s’intéresse aux rapports de l’Histoire et de la mémoire met en place
un travail de recherche et de documentation précis pour comprendre les contextes politiques et sociaux, les enjeux et les effets avant la pratique de son œuvre.
L’article de Marie Fraser, « Des formes de vie à la restitution du présent. De l’artiste anthropologue à l’archéologue », décrit l’intervention de l’artiste dans l’Histoire en adoptant la posture d’un historien ou d’un ethnographe dans ses démarches artistiques, et l’intègre dans l’Art contemporain. Le domaine de l’Art donne un rapport de confrontation avec la réalité pour le public. L’auteure cite trois grands penseurs tels que Walter Benjamin, Joseph Kosuth et Hal Foster qui partagent en commun l’idée que l’artiste-archéologue met à jour l’image d’archive dans le présent sans modifier le passé. Un jeu de présent-passé et présence- absence se crée.
Une transformation de l’art à la réalité7 voit le jour depuis les années 1990 et d’après Nicolas Bourriaud8 les « œuvres ne se donnent plus pour but de former des réalités imaginaires ou utopiques, mais de constituer des modes d’existence ou des modèles d’actions à l’intérieur du réel existant9».
Walter Benjamin pose en perspective les pratiques plastiques contemporaines par le geste de l’artiste met dans le contexte d’aujourd’hui un fait réel. Joseph Kosuth a une pensée objective sur l’art et l’anthropologie, permettant à l’artiste un travail accompli sur sa propre culture ou une culture choisie.
Hal Foster poursuit la réflexion de Benjamin et dans l’art contemporain une nouvelle manière pour l’artiste de produire. L’orientation anthropologique est marquée dans l’art contemporain pour ouvrir un nouveau champ de présentation et d’exposition, permettant de confronter l’art et la réalité, ainsi que la pratique et la théorie. L’artiste propose alors une réactualisation contemporaine en tant qu’« artiste comme producteur ».
1 Jacques Derrida, Mal d’archive, une impression freudienne, Paris, édition Galilée, 1995, p.60
2 Julie Maeck et Matthias Steinle, L’image d’archives: une image en devenir, édition Pur, collection Histoire, série « Archives, histoire et société », 2016
3 Panofsky, E., Essais d’iconologie, Thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, Paris, Gallimard, 1967, publié en 1939, p.20, cité par Julie Maeck et Matthias Steinle, L’image d’archives: une image en devenir, édition Pur, collection Histoire, série « Archives, histoire et société », 2016
4 Arlette Farge, Le goût de l’archive, Paris, Gallimard, Coll. « la librairie du XXe siècle », 1989, p.19, cité par Julie Maeck et Matthias Steinle, L’image d’archives: une image en devenir, édition Pur, collection Histoire, série « Archives, histoire et société », 2016
5 ibid. Julie Maeck et Matthias Steinle, p.11-12
6 Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p.170 cité par Julie Maeck et Matthias Steinle, L’image d’archives: une image en devenir, édition Pur, collection Histoire, série « Archives, histoire et société », 2016
7 Marie Fraser, « Des formes de vie à la restitution du présent. De l’artiste anthropologue à l’archéologue », Globe : revue internationale d’études québécoises 17, no 1, 2014, p.154
8 Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Dijon, Les Presses du réel, 2001, p.1 9 ibid. Marie Fraser