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Fuseaux-mêlés

Fuseaux-mêlés est un ensemble d’œuvres odorantes composées de tissus tressés. Enroulées autour de bâtons en bois, les nappes chatoyantes de tissu enveloppent des fleurs de lavande, donnant naissance à des échalas embaumés aux tailles variables, tortueux et colorés. Installations tactiles et olfactives, les Fuseaux-Mêlés doivent être malaxés, pressés entre nos doigts, pour que la fragrance s’en dégage. Dès lors, dans un élan vital, un rapport charnel se déploie face à ces totems boursouflés et imposants.

 

Par cet assemblage chamarré et odorant, l’artiste souhaite faire référence à un objet traditionnel de Provence ; les fuseaux de lavande. Élaborés par les mères de familles dès le XVIIIème siècle, ces objets artisanaux permettent de protéger les linges de maison des parasites. Les tiges de la plante sont nouées à l’aide de rubans de lin en de longues tresses qui renferment les pétales parfumés. Durant l’Antiquité romaine, la lavande était déjà utilisée pour nettoyer, d’où son étymologie du latin “lavare” signifiant “laver”. Pouvoir magique, médicinal et décoratif, on lui prêtait un pouvoir protecteur et purificateur sur le corps et l’esprit.

En façonnant son amour pour la Provence et la Thaïlande, l’artiste mêle la lavande du jardin de son père à du tissu provenant du pays d’origine de sa mère, et relie ainsi deux mondes qui ont construit son identité. Un nouvel imaginaire se structure. Ces deux matériaux, qui symbolisent son métissage, s’hybrident, pour former des objets uniques et personnels, empreints de traditions différentes. Inspirée par l’art brut, elle use de ces différents éléments, en posant sa mythologie personnelle, elle dévoile ses interrogations sur le monde et la société dans laquelle nous vivons. Le contenu de l’œuvre échappe ainsi au moi narcissique pour devenir universel.

L’artiste remarque sur les tissus « batik » qu’elle se procure en Thaïlande ont certaines similitudes dans les motifs fleuris avec le textile indien : Les Indiennes. Dans l’histoire de l’impression du textile, Les Indiennes était un art textile qui a révolutionné le monde, connaissant un véritable succès en Europe entre les 16ème et 18ème siècles grâce à ses motifs et ses couleurs éclatantes. C’est à Marseille que la consommation de ces Indiennes commencent en France avec les premières importations des Indes. Les Indiennes sont une véritable inspiration de création textile pour la France avec ses tissus provençal de l’époque. L’artiste suppose que le tissu Les Indiennes a surement croisé le chemin des pays comme la Thaïlande (tissu “Sarong”) et l’Indonésie (tissu “batik”). On ne connait pas les origines exactes du batik, d’après les historiens la technique du batik existait déjà avant Jésus Chris, et a connu de multiples déclinaisons en Asie et jusqu’en Afrique. L’art du batik est l’identité culturelle de l’Indonésie depuis des siècles. Ce tissu est vendu en grande masse en Thaïlande, le batik comme le sarong est utilisé pour se vêtir. Cet art textile est entré au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2009.

À l’extrême nord-ouest de l’Inde commence un vaste ensemble géographique, carrefour de nombreux influences, l’Asie centrale. Le textile y a occupé une place prépondérante, en particulier pour les peuples nomades. En Asie du Sud-Est, la fabrication des textiles relève à la fois des domaines techniques, pratiques, esthétiques et spirituels. Ce ne sont pas seulement des symboles de statut social ou de mérite mais bien souvent des objects « magiques » auxquels on attribue une puissance surnaturelle qui permet de communiquer avec le monde des esprits mais aussi de s’en protéger. […] Deux grandes routes relaient l’Inde au reste du monde : la route maritime et la route caravanière qui rejoignait la route de la soie. Cependant, les Huns mirent fin aux échanges avec l’Occident: à partir du Ve siècle, le négoce se tourne alors vers l’Asie du Sud-Est ; des marchants indiens s’installent en Thaïlande, au Cambodge et dans l’archipel indonésien. Très appréciées à Java et en Malaisien les étoffes indiennes vont continuer une véritable monnaie d’échange entre les pays du Sud-Est asiatique.

Aurélie Samuel, L’art du textile en Asie, Paris, Nouvelles éditions Scala, 2014

En effet, cette figure initiatique du sceptre, ressort dans de nombreux récits et s’inscrit dans notre imaginaire collectif comme un instrument propice aux pratiques rituelles. Syncrétique, le bâton se donne à voir dans divers récits religieux. Des premiers cultes païens à la sorcellerie, en passant par Moïse, le bâton accorde le rôle ancestral et symbolique de la puissance légitime et du droit. Pointé entre le ciel et la terre, le bâton relie le cosmos au commun des mortels.

Comme sortis d’une autre époque ou d’une autre civilisation, ces crosses sont le résultat d’influences multiples, le fruit d’un travail archéologique dans les tréfonds de l’imaginaire conscient et inconscient. Au fur et à mesure que l’artiste embaume ses fuseaux, l’odeur se révèle à elle, purificatrice et magique, et la plonge dans un état d’apaisement propice aux voyages mnésiques. L’objet est comme vivant grâce l’odeur de la fleur dès qu’on le touche. Le bâton est alors envisagé dans sa dimension pastorale, véritable emblème d’un nomadisme narratif, d’une transhumance spirituelle, entre sphère intime et croyances collectives.

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Fuseaux-mêlés is a series of fragrant works composed of braided fabrics. Wrapped around wooden sticks, the shimmering layers of cloth encase lavender flowers, giving birth to twisted, colorful staffs of varying sizes. These tactile and olfactory installations are meant to be kneaded, pressed between the fingers, so that their scent may be released. In that vital gesture, a sensuous dialogue unfolds between the viewer and these swollen, imposing totems.

Through this vibrant, aromatic assemblage, the artist evokes a traditional Provençal object: the lavender spindle. Crafted by homemakers as early as the eighteenth century, these artisanal objects were used to protect household linens from insects. The stems of the plant were tied together with linen ribbons into long braids enclosing the fragrant blossoms. In Ancient Rome, lavender was already used for cleansing—its name derived from the Latin lavare, “to wash.” Considered both magical and medicinal, lavender was believed to purify and protect body and spirit alike.

By weaving together her love for Provence and Thailand, the artist entwines lavender from her father’s garden with fabric from her mother’s homeland, bridging two worlds that shaped her identity. A new imaginary emerges. These two materials—symbols of her mixed heritage—merge to form unique, personal objects imbued with multiple traditions. Inspired by art brut, she assembles diverse elements to construct her own mythology, revealing her reflections on the world and the society we inhabit. The work thus transcends the personal to reach the universal.

The artist observes that the batik fabrics she sources in Thailand bear certain floral similarities to Indian printed textiles known as Indiennes. In the history of textile printing, Indiennes represented a revolutionary art form that took Europe by storm between the sixteenth and eighteenth centuries with its brilliant colors and patterns. Marseille was the first French port to import these fabrics from India, inspiring Provençal textile creation for generations. The artist imagines that Indiennes fabrics may have crossed paths with those of Thailand (sarong) and Indonesia (batik). The exact origins of batik remain uncertain; historians believe the technique predates Christ and evolved through many forms across Asia and Africa. The art of batik has been a cornerstone of Indonesian cultural identity for centuries, and since 2009 it has been recognized by UNESCO as part of the world’s intangible heritage.

At the far north-west of India begins a vast crossroads of civilizations: Central Asia. There, textiles have always played a vital role, especially among nomadic peoples. In Southeast Asia, textile production has long belonged to both the technical and spiritual domains. Textiles are not merely symbols of social status or merit—they are often regarded as “magical” objects endowed with supernatural power, capable of communicating with or warding off spirits. […] Two great routes connected India with the rest of the world: the maritime route and the caravan route joining the Silk Road. The Huns, however, ended exchanges with the West; from the fifth century onward, trade turned toward Southeast Asia. Indian merchants settled in Thailand, Cambodia, and the Indonesian archipelago. Highly prized in Java and Malaysia, Indian fabrics continued to circulate as a true currency of exchange throughout the region.
 

Aurélie Samuel, L’art du textile en Asie, Paris, Nouvelles Éditions Scala, 2014

 

Indeed, this initiatory figure of the sceptre recurs in numerous myths and inhabits our collective imagination as an instrument suited to ritual practice. Syncretic and powerful, the staff appears across religious traditions—from pagan cults to witchcraft, from Moses to modern myth—as an ancestral symbol of authority and divine right. Pointed between earth and sky, the staff connects the cosmos to humankind.

As if emerging from another era or civilization, these staffs are born of multiple influences—a kind of archaeological excavation into the strata of conscious and unconscious imagination. As the artist perfumes her fuseaux, the scent reveals itself—purifying, magical—immersing her in a state of calm conducive to journeys of memory. The object seems to come alive: its fragrance awakens at the touch. The staff thus takes on a pastoral dimension, becoming the emblem of a narrative nomadism, a spiritual migration between the intimate and the collective, between matter and the sacred.

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